Textes sur la musique javanaise à l'Exposition de 1889
Texts about Javanese music at the Paris 1889 Exhibition

1 - Exposition Universelle 1889 - Java, Programme Explicatif Illustré
par Jean Kernoa. 6 pages, 10 illustrations de Gillot et inconnu, 4 partitions.

   Ce document, se présentant comme le "programme" des spectacles du "kampong" est un des trois documents contenant une transcription musicale, ainsi que 3 gravures intéressantes (dont 2 incluses ci-dessous), et le seul qui propose une traduction des textes présents dans les chants et danses exécutés.
   Il inclut quelques affirmations fantaisistes, découlant souvent de la fiction qui avait été mise en scène dans le "kampong", par exemple : Damar-Djingga pour Menak Djingga, le roi de Balambangan, principal ennemi de Damar Wulan transformé en reine-mère !
   Mais on y trouve également quelques informations précises : la description d'un chant coexistant avec le gamelan et les danses, la mention de la geste de Damar Wulan, argument de l'"opérette" Langendriyan en provenance du palais Mangkunegaran et la description d'une danse de séduction, illustrée de plus par la seule gravure existante.
   Une mention intéressante : l'appréciation que le "ballet n'est qu'une double improvisation musicale et mimée,". Elle renforce notre opinion sur l'assemblage hâtif que constituaient ces spectacles, car ni la musique indiquée par le type de gamelan, ni les danses indiquées par les costûmes ne font appel à de l'improvisation, au sens qu'on donne généralement à ce mot.
   The document, calling itself a "program" of the shows taking place in the "kampong" is one of the three documents including a musical transcription together with 3 interesting engravings (2 of which are included below) and the only one proposing translations of the texts that were part of the songs and dances shown in 1889.
   It includes a limited number of inaccuracies, often a consequence of the fictitious character of the "kampong" shows: Menak Djingga, the King of Balambangan and Damar Wulan's main ennemy, called Damar-Djingga and confused with the Queen Prabu Kenya !.
   Nonetheless, one can found a few interesting and accurate notes: the description of a song taking place together with the gamelan music and the dances, the mention of the Damar Wulan epic, base of the Langendriyan "operetta" from the Mangkunegaran palace and the description of a flirtation dance also illustrated by the only known engraving.
   Another interesting comment: the opinion that the "ballet is nothing but a double improvisation, mimed and musical". It backs up our point about the hasty setting of these shows, because neither the gamelan type, nor the costumes of the dancers indicate a repertoire where improvisation, to the meaning currently conveyed by the word, takes place.

1889_IC1.jpg (111576 octets)

LA DANSE

   Le jour même où l'accès du Kampong javanais fut permis pour la première fois au public, la joie des intelligents organisateurs de cette partie si pittoresque de notre Exposition dut être bien grande, car le succès fut immédiat. Et, en vérité, il ne pouvait en être autrement, car dans ce village en miniature, construit à l'ombre du palais des Invalides, entre une pagode cambodgienne et un panorama parisien, et plein de danses troublantes, de concerts aux accords inquiétants, de chants d'une langueur sauvage, on éprouve des sensations pénétrantes et inconnues. On y respire comme une atmosphère nouvelle toute imprégnée de parfums exotiques. Les organisateurs du Kampong ont peut-être été un peu surpris eux-mêmes du succès si brusque et si persistant de leur intéressante exposition, mais notre étonnement à nous a été moindre, car nous connaissons par cœur notre public français, si chercheur d'impressions nouvelles, mais aussi très rebelle aux curiosités grossières ou banales dont on a trop généreusement toléré l'exhibition sur divers points du Champ-de-Mars et des Invalides, et dont il s'éloigne déjà avec une sorte de dégoût.
   Ceci n'est ni un résumé ethnographique, ni même une légère peinture des mœurs et des coutumes du peuple des Indes Néerlandaises, dont nous avons, en ce moment, de si curieux exemplaires sous les yeux. Notre cadre d'étude est trop restreint pour nous permettre d'entreprendre des travaux de ce genre et nous renvoyons à la Nouvelle Géographie universelle d'Élisée Reclus les lecteurs désireux de s'instruire en cette matière.
   Nous n’avons ici d'autre prétention que celle d’initier, dans la mesure du possible, le visiteur de passage au royaume mystérieux de la danse javanaise, qui n'apparaît tout d’abord, à l'œil surpris de 1'Occidental, que comme un ensemble harmonieux de mouvements de bras, de mains, de jeux d’écharpe, de poses hiératiques, de défilés nonchalants, de légères inclinaisons de tête, de frissons d'épaule...; le tout sans signification bien évidente, et d’une compréhension certes plus difficile que le Zapateado ou la Sabotiére.
   Nous avons pu cependant, grâce à de bienveillantes indiscrétions, contrôlées par une observation quotidienne, pénétrer quelques-uns des secrets de cette danse hermétique, et surprendre la traduction de certains gestes de ces petites idoles aux figures espiègles, aux mains de fée, qui semblent s'être échappées des trônes d'or d'une pagode très ancienne, où elles étaient immobilisées depuis des milliers d’années, pour venir un moment, dans nos brouillards froids et gris, caresser nos regards par la grâce dorée de leurs mouvements.
   A Java, comme en tout lieu du monde, c'est l'éternel amour qui est l'inspirateur ordinaire de presque tous les ballets; et on s'étonne très facilement, car ce qui frappe surtout le spectateur peu initié au mystère des danses javanaises, c’est 1’allure grave, presque religieuse des acteurs. Ici rien de la danse abdominale des Ouled-naïl, ni même du menéo, relativement discret, de l'Andalouse.

TANDAK - DANSE POPULAIRE
   Souvent le ballet n’est qu'une double improvisation musicale et mimée, où les acteurs donnent un libre cours à leur imagination, toujours très féconde, et où les sons, les chants et les mouvements se marient instantanément dans une harmonie très étrange. Mais il faut pour cela que les musiciens et les mimes soient des sujets de premier ordre : ce qui existe au Kampong de l'esplanade des Invalides.
   Toutefois, la plupart du temps, les sujets de danse sont empruntés à la vieille légende javanaise de Damar-Woelan et de Damar-Djinga, si riche en épisodes d’amour et de drames.
   Voici, en quelques lignes, cette histoire épique que tous les Homères des îles de la Sonde ont chanté sur tous les modes, avec accompagnement de gamelang, et d'où semble dériver tout l'art javanais :
   Il y avait une fois un vice-roi appelé Damar-Woelan, dont la femme était belle comme la lune.
   La reine mère
Damar-Djinga aimait éperdument le vice-roi.
   Pour l'éloigner de son épouse adorée, elle lui demande un jour aide et secours contre un ennemi puissant qui menace ses États.
   Il résiste d’abord, car son amour est profond, puis il part bien loin, au delà des fleuves, des lacs et des montagnes, à la tête de ses guerriers.
   Quand il revint victorieux, il trouva, sous les ruines de son palais brûlé, le cadavre de sa femme.
   Sa colère et son désespoir furent grands. Puis ils s'apaisèrent, comme les flots après l'orage sous les amoureuses caresses de
Damar-Djinga.
   Le vice-roi épousa bientôt la reine mère et, le mariage fut célébré par des danses et de grands festins où l'on mangea beaucoup de
Naci-Koemir et des gâteaux de Bras-Ketan.

   Les mouvements qui reviennent le plus fréquemment, dans la danse javanaise, sont le jeu si gracieux des écharpes, et le geste qui consiste à appuyer le pouce sur l'épaule en agitant les doigts.
   Le premier de ces mouvements est négatif, le second affirmatif, ou, pour mieux dire, le premier exprime un refus, le second un consentement.
   Exemple : Voici deux acteurs en scène. L'homme, mû par le désir de posséder la femme, lui fait à l'aide d'une mimique très compliquée dans son expression, en apparence fort simple, les plus séduisantes propositions :
   - Sois à moi, dit-il, dans son silencieux langage, et je te donnerai avec mon cœur, mes champs, mes rizières, mes buffles… etc.
   Et la coquette d’agiter dédaigneusement son écharpe en dessinant une fuite simulée qui rend le prétendant très anxieux. Ce n’est que lorsqu'il se dispose, à bouts d’arguments et de promesses, à s’éloigner de la cruelle, qu'elle le retient en faisant jouer ses doigts sur son épaule.
   Dans la danse javanaise, la femme remplit très souvent le rôle de 1’homme, et son travestissement n’est indiqué que par la présence d'un Kris (poignard malais), qu'elle porte derrière la ceinture.
   Les quatre danseuses de cour ou sarimpi, qu'on peut voir au Kampong, ont été mises à la disposition du Comité néerlandais par Mangkou-Negoro, le sultan de Solo ou Soerakarta, une des deux grandes provinces de Java. Elles s'appellent :
   Wakiem (12 ans), Taminah (16 ans), Sariem (14 ans), Soekia (13 ans). - Ces deux dernières sont sœurs.

LE CHANT

   Comme nous l'avons déjà dit, la légende de Damar-Woelan est la source d'où découle en partie l'art javanais. C'est dans ce poème d'amour que, danseurs, poètes, peintres viennent chercher le plus souvent des motifs inspirateurs. Le chanteur malais, dont la voix perçante et nasillarde comme celle d'un accompagnateur andalou, surprend brusquement le spectateur absorbé par la mimique des danseuses, n'exerce le plus souvent ses bizarres facultés vocales que sur des thèmes empruntés à la fameuse légende, et qu'il développe d'ailleurs avec une très grande fantaisie d’imagination.
   Parfois, cependant, il ne s'inspire que de ses souvenirs personnels, ou même de son rêve, et alors il ébauche d’une voix aiguë des poèmes d’une grande saveur, brusquement. éclos dans son imagination et presque aussi vite oubliés. - Voici quelques lambeaux d’une chanson entendue l'autre jour au son du gamelang, pendant que les petites danseuses royales retournaient gravement leurs mains délicates en nous regardant de leurs grands yeux en amande. Nous avons cru devoir respecter fidèlement la naïveté de la traduction, de peur d’altérer la couleur native du poème.
   C'est une femme amoureuse qui chante.

Traduction du Poème

Image de <i>Wayang Golek</i>
I
   Je suis triste. Je veux chanter. Allons ! Frappez fort sur le gendang (tambour); tirez ferme sur l'aviron; frappez le mangona, tous bien ensemble.

II
   Mais que se passe-t-il donc au milieu du Sawa (rizière). - Ah ! on cherche des huîtres dans le creux des roches. Ah ! si l'on cherchait dans mon coeur on ne trouverait que des larmes.

III
   Qu'il est beau ! Qu'il est beau ! Ce Radja, dont le palais se mire dans le fleuve. Je passai par là, je l'ai vu et je l'ai aimé. Lui ne m'a pas vue.

IV
Un chat abandonné sur la mer, dans une boîte de djati (bois de l'île), devient maigre et malheureux, car il ne mange plus. Moi aussi je suis malheureuse comme lui, car je ne mange plus et je pleure toujours.

Jean Kernoa

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